LA TERRE D'OPALE, ELDORADO EN 2017 ?
CALAIS ENFIN SORTI DU TUNNEL ?
Despwar & Hope
Lundi, 19 Juin 2017
Philippe Hope faisait les cent pas sur le perron du siège de la chambre de Commerce Cote d’opale. La cinquantaine dynamique, l’air volontaire, il attendait Roger Despwar, journaliste économique au Guardian de Londres. Celui-ci venait faire un reportage sur la Cote d’Opale, à paraître en août.
Philippe voulait prendre le temps de recevoir ce journaliste. Dix ans auparavant, responsable de la communication à la CCI, il avait gardé un souvenir ulcéré d’un article, signé de son interlocuteur, analysant de façon sarcastique la gestion des projets de développement du littoral.
Depuis, la région avait beaucoup changé…
Caressés par les doux rayons du soleil de ce matin de juin, les deux hommes admiraient l’étonnante structure mélange de verre et bois de la nouvelle Chambre de Commerce, construite en face de la gare internationale de Calais Frethun.
— À Londres, la Cote d’Opale a fait beaucoup parler d’elle, ces derniers temps, formula Roger, interrompant leur silencieuse méditation.
— J’ai effectivement lu cela dans la presse, commenta Hope.
— Son essor économique et social est perçu comme vraiment spectaculaire…
Hope se contenta d’un sourire de contentement.
— À en juger par ce cadre futuriste de cet édifice et par les villages que j’ai traversés en arrivant, la région a beaucoup changé, continua Despwar… J’avais le souvenir de ces plages magnifiques et protégées, d’un arrière-pays verdoyant, mais, franchement, tous ces villages de cartes postales avaient des airs « de bel endormi ».
— Et pourtant, souvenez-vous, coupa Philippe, il y a dix ans la région bénéficiait déjà de pleins d’atouts… Nous avions à Calais le premier port de France pour les passagers… Boulogne était le premier port de pêche disposant en plus d’un savoir-faire et d’une notoriété dans l’halieutique… Dunkerque et l’avancée de son port ouest… La région disposait d’un équipement autoroutier très en avance sur d’autres régions européennes. L’arrivée des communications haut débit et Internet commençait à faire évoluer les modes de travail et les styles de vie…
— Je m’en souviens parfaitement, indiqua Despwar.
— Malheureusement, continua Philippe, nous étions confrontés à un taux de chômage de 15 %… Dans certaines villes, notamment à Calais, on atteignait 17 % de chômeurs…
— Je me souviens bien… C’était vraiment dramatique…
— Tout à fait... Ce qui était d’autant plus surprenant, c’est que la population avait démontré dans le passé son courage et sa capacité à innover, à réaliser des prouesses industrielles dans des activités très diverses…
— Quelle en était la cause, alors ?
— De mon point de vue, il manquait la confiance, la capacité de la population à y croire. L’ouverture du tunnel sous la Manche avait généré beaucoup d’espoir. Les retombées locales n’avaient pas été au rendez-vous, les attentes avaient été déçues. L’effet avait été doublement pervers, non seulement le développement économique ne s’était pas produit, mais, en plus, un certain fatalisme s’était distillé dans les mentalités. Avec le recul, on constate que les investisseurs et les créateurs avaient longtemps été trop timorés. Et, toute une frange de la population s’était trouvée insensiblement mise à l’écart de l’activité économique, figée dans la désespérance. La garantie d’une protection sociale, pourtant faible, leur semblait préférable à d’hypothétiques retours à l’emploi.
— Je crois me souvenir qu’il y avait, de surcroit, un fond de mésententes…
— Oui, en effet, il faut bien reconnaître l’effet négatif des dysfonctionnements et des oppositions politiques et régionales. Chacun préservant son pré carré local, récusant toute solution collective.
— Cela transpirait de tous les pores.
— Honnêtement, nous étions à l’époque tous responsables de cet état de fait. Les politiques pour avoir trop souvent misé sur le court terme, les décideurs économiques pour n’avoir pas cru au développement de la région, les syndicats bloqués dans des structures aux images passéistes, les médias et la population pour s’être laissé endormir.
— Mais alors que s’est-il donc passé, demanda Roger Despwar ?
— Un déclic salvateur s’est produit…
— Comment cela ?
— Je ferais le parallèle avec un malade, au cœur d’une dépression : il paraît en bonne forme, il a tous les atouts pour lui, mais il n’en sort pas… Puis, tout à coup, un déclic survient et tout se libère. Il redécouvre la vie, retrouve l’appétit, la joie de vivre. Il s’est passé ici la même chose.
— Vous m’intriguez… Expliquez-moi donc tout cela, demanda le journaliste
— Il faut se replonger en 2010. À la sortie du tunnel, la gare TGV n’était pas utilisée à la hauteur de son potentiel. Il y avait une situation incongrue : les liaisons vers Boulogne et le Touquet étaient très lentes et pas assez nombreuses. Aucune liaison n’existait vers l’Est : Gravelines, Dunkerque, ni même Ostende et la Belgique. Le trafic se faisait presque uniquement vers Lille et Paris. Bizarrement, il n’y avait pratiquement pas moyen d’aller en Angleterre par rail malgré son évidente proximité. Eurostar avait décidé, à partir de 2007, de favoriser les capitales Paris – Londres… Les arrêts sur Calais étaient extrêmement rares. En plus, le coût était complètement disproportionné. Je me souviens que pour faire un aller-retour Calais/Londres, cela coûtait 330 euros… Au même moment le Calais/Lille coûtait moins de 30 euros. La distance étant à peu près identique…
—Qu’avez-vous fait ? demanda Despwar de plus en plus intéressé.
— La région a fini par ouvrir le Metro Transmanche entre Calais et Ashford.
— Et pourquoi Ashford ? interrogea Hope.
— En 2009, vous, les Britanniques aviez, avec un peu de retard, décidé de vous équiper en train à grande vitesse avec la liaison Ashford/Londres (St Pancras), 38 minutes de trajet. Or, la gare de St Pancras est très centrale, elle se situe à deux stations de métro de la City, le centre d’affaires londonien.
— En effet…
—Il suffisait donc de relier Calais à Ashford avec des navettes régulières pouvant passer sous le tunnel, continua Hope. C’était relativement simple, car toute l’infrastructure existait déjà.
— Ah, dites-en plus, insista Despwar.
— Avec cette nouvelle liaison, Calais était, toutes les 30 minutes, à une heure du Centre de Londres. Et cela changeait la donne…
— Je l’imagine bien.
— Cela a commencé par inciter des industriels à implanter une filiale sur la Cote d’Opale : le foncier était largement moins cher que de l’autre côté du Detroit..
— Pour une PME ayant pour objectif le marché nord-européen, cela devait être l’idéal.
— Oui, évidemment, ceci à une heure vingt de Paris, à une heure de Bruxelles et de Londres… L’effet d’aubaine a joué à plein… Comme vous avez dû le remarquer à la sortie du tunnel, toutes les zones destinées à l’industrie de l’est de Calais sont occupées. De nouvelles zones spécialisées se sont créées, accueillant des PME. Aujourd’hui, cela paraît évident, mais la dynamique ne s’est embrayée qu’à partir du moment où l’on a pu faire facilement des allers-retours toutes les demi-heures...
— J’imagine que cela a créé pas mal d’emplois…
— Oui en effet, mais la vraie révolution en terme d’emplois est dû à un autre phénomène.
— Ah oui ?
— Figurez-vous que ce lien fixe a mis à jour la véritable valeur ajoutée de cette région…
— De quoi parlez-vous ?
— J’ai prévu de vous emmener visiter la région demain. Vous allez être surpris… Vous vous souvenez peut-être qu’en 2007, la ville de Londres caracolait en tête des capitales européennes. Les entreprises y installaient des bureaux, leurs sièges européens, des princes Saoudiens rivalisaient avec les magnats Russes pour acheter les résidences de luxe. L’immobilier et le foncier devenaient de plus en plus rares et chers. Les routes étaient encombrées, allongeant les temps de transport quotidiens. Bref, au quotidien la vie des Londoniens devenait plus difficile et moins agréable.
— N’y avait pas eu une étude sur le commuting transfrontalier à cette époque ?
— C’est exactement à quoi je voulais en venir..
— Les habitants de sud-est de l’Angleterre ont commencé à imaginer la possibilité d’habiter un peu plus loin. Ils se sont intéressés à la Côte d’Opale, devenue si proche grâce à cette liaison ferroviaire. Attirés par les maisons traditionnelles et les fermes à réhabiliter. À la différence des Belges et des Lillois, les Anglais étaient à la recherche de maisons dans les villages et les petites villes, pas uniquement sur le bord de mer. Ils ont joué un rôle important dans la revivification des centres des villes telles Guînes, Ardres, Marquise, Audruicq et Desvres… Vous n’allez pas les reconnaître….
— Ces Anglais ne considèrent-ils pas la Cote d’Opale comme « une banlieue-dortoir », comme vous dites en français ?
— Non, ce sont principalement des professions libérales : architectes, juristes, conseillers financiers, stock brokers, etc.… qui ont fait le choix d’une installation en France.
— Ils ont dû générer beaucoup d’activité.
— C’est en effet là que tout s’est passé : dans le bâtiment bien sûr, mais également dans le commerce et dans les services. Ces professionnels ont eu besoin de toute une série de sous-traitants divers et variés créant une nouvelle économie. Les chiffres ne sont pas très fiables, mais on pense que trois arrivants ont finalement créé un emploi…
— De combien de ménages, parlez-vous ?
— L’étude de faisabilité, commanditée par la chambre de commerce de Calais avait mis en évidence un potentiel de 30 000 ménages britanniques susceptibles de s'installer sur ce rivage à condition que ce métro transmanche existe et que sa pérennité soit garantie.
— En réalité, environ 10 000 ménages se sont installés sur la Cote d’Opale, représentant moins de 4 % de la population, chiffre relativement marginal en termes d’impact foncier. En contrepartie, les nouveaux habitants ont généré la création d’environ 10 000 emplois locaux.
— Vous me parlez de l’arrivée des Anglais, reprend Hope, mais les Français ont-ils eu un intérêt à la création de cette nouvelle liaison ferroviaire ?
— Aujourd’hui, on dénombre plus de 3 000 Français qui effectuent des allers et retours réguliers sur Ashford et Londres. Certains habitaient précédemment à Londres. Souvenez-vous, en 2007, 300 000 Français travaillaient et résidaient à Londres, mais beaucoup y étaient mal logés. Avec cette navette, une partie d’entre eux a préféré s'installer sur notre territoire avec leur famille. Ce fut également une opportunité pour des habitants de la Côte d'Opale de travailler en Angleterre, tout en restant domiciliés en France.
— La construction et la rénovation des bâtiments ont dû tourner à plein régime.
— Oui, bien sûr. D’ailleurs, à Calais, beaucoup d’anciennes usines et d’ateliers ont été réhabilités et transformés en loft.
— Et le tourisme ?
— Ce lien fixe a bien entendu également bénéficié au tourisme local, ajoutant à la clientèle anglaise habituelle, une clientèle de très court séjour, n’hésitant pas à venir sur la journée ou sur la soirée. La gare est extrêmement bien desservie, les liaisons avec les sites touristiques sont régulières.
— Souvenez-vous de la gare maritime de Boulogne ?... Elle a été agréablement remplacée par une vaste zone de loisir avec restaurants, bars, boites de nuit et attirant une clientèle éclectique. Éloignée des habitations, cette zone est un vrai succès. Le Touquet a développé une nouvelle ville Opalopolis disposant d'équipements sportifs, d'hébergements et un palais des congrès où se tiennent des conventions, des salons... Je n’ai pas besoin de développer à un journal Londonien l’impact que cela a représenté d’être si facilement accessible des seize millions d’habitants du Grand Londres. La gastronomie locale a triplé depuis, attirant toute une nouvelle génération de chefs.
— Tout ceci est extraordinaire, dit le journaliste, mais d’un point de vue financier, quelles sont les retombées ?
— C’est la cerise sur le gâteau.
— Pourquoi donc ?
— Voilà… en 2010, les 40 000 chômeurs de la Terre d’Opale coûtaient à la collectivité grosso modo 40 millions d’euros par mois avec fort peu de contribution en retour, au niveau de la consommation. Aujourd’hui, l’ensemble des collectivités a équilibré ses comptes.
— Le cercle vertueux, donc ? Vous m’aviez parlé de l’impact culturel également…
— Oui et c’est un point essentiel. Pour favoriser l’accueil des Britanniques, l’apprentissage de la langue anglaise aux jeunes enfants a été développé avec des classes bilingues, des échanges de classes entre écoles françaises et anglaises... Parallèlement, les nouveaux arrivants ont ressenti le besoin d’améliorer leur connaissance du Français.
— Tout ceci est enthousiasmant, mais je suis convaincu qu’en 2010 pas grand monde y croyait…
— Je vois que vous connaissez bien la nature humaine...
Ce texte m'a été envoyé par Thaddée SÉGARD
qui milite pour un véritable métro entre la FRANCE et le ROYAUME-UNI
TSC
Thaddée Segard
le flot
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CLAUDE SEGARD SANGATTE BLERIOT
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Commentaires
Vous avez bien raison en ce qui concerne la nature humaine; pour Calais, difficile de croire en un Eldorado, maintenant ou plus tard; la plupart des "responsables" politiques ne pensent qu'à prendre les places, à avantager les copains et les copines, et aussi que ça ne va pas, ils trouvent le prétexte que c'est la faute des autres; il suffit de voir Madame Bouchart répéter sans cesse que tout ce qui ne va pas à Calais est de la faute à Jacky Hénin et même encore avant; à chaque fois qu'elle, les autres font pareils, voudra échapper à ses responsabilités, elle dire "c'est la faute à Jacky", bien entendu pas de la faute de ses copains au gouvernement. Ils me font tous marrer, mais dans le mauvais sens! Vous n'êtes pas obligé de me répondre, vous, vous avez du bon sens, il suffit de voir que vous n'êtes pas politisé, plein de bon sens avec vos phrases étrangères ou non à méditer.
Enfin, si les choses s'arrangent un jour au niveau chômage à Calais, tant mieux car j'ai des enfants adultes, sans rien et donc à ma charge.
Vous avez raison pour Jean-Claude et son anonymat; je reste personnellement avec un pseudo car je suis dans l'administration, vous ne m'en voudres pas, je le sais!
Amicalement vôtre, Christopher.