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Titre du blog : CLAUDE SEGARD SANGATTE BLERIOT
Auteur : claudesegardsangatte
Date de création : 30-07-2010
 
posté le 05-08-2010 à 01:55:54

LES MÉSAVENTURES DE BÉBERT, LE CHEF DE GARE ( ACTE 1 )

   LES (MES)AVENTURES DE BEBERT, LE CHEF DE GARE.

ACTE 1

 

   Depuis que sa Micheline est partie, Bébert n'est plus le même, on pourrait même dire qu'il déraille complètement. Les dirigeants régionaux de la SNCF n'ont pas pu empêcher la presse de s'intéresser au personnage. Quand les premiers reporters sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé Bébert en train d'essayer d'allumer une boogie avec un briquet. A n'en pas douter, Bébert en avait un coup dans le cigare et son émotion extrême lui donnait des vapeurs. Un psychologue, dépêché sur les lieux en train express avec ses valises sous les yeux car il n'avait pas d'autres bagages et n'avait visiblement pas dormi, recueillit les premières confidences de Bébert à la mine déconfite comme si le train de 4h05 lui était passé dessus.

   Pour Bébert, la vie avait toujours été aussi simple qu'une ligne droite. Très tôt, il avait su que sa voie était toute tracée; très vite, l'idée de devenir chef de gare avait fait son chemin dans sa tête. Pour le dérouter, ses faux copains d'école avaient essayé de l'emmener dans une voie de garage, autrement dit de le faire tomber dans le panneau d'une mauvaise orientation professionnelle, mais il avait vite compris leur manège et leur manoeuvre car même son horoscope lui avait plusieurs fois envoyé des signaux qui ne trompent pas en lui disant par exemple qu'après un bon départ, il n'avait qu'à continuer son petit bonhomme de chemin pour être sûr d'arriver à destination.

   Même pour sa vie sentimentale -les chemins du coeur sont parfois impénétrables- Bébert n'était pas allé chercher bien loin Micheline, celle qui allait lui faire connaître ses transports amoureux. C'est elle tout simplement qui était venue à lui une certaine nuit de la Saint-Sylvestre. Après une journée portes ouvertes à la maison de ses parents le jour de ses dix-huit ans, elle était tout bonnement partie à l'aventure, ayant pris le premier train pour n'importe où et était arrivée sans crier gare dans ce coin tranquille à la croisée des chemins de nulle part où Bébert sifflait même quand il n'y avait pas de train croyant certainement qu'un jour ou mieux une nuit, quelqu'un répondrait à son coup de sifflet sans pour autant se prendre pour un chien qui obéit à la voix de son maître. Non, cette nuit-là, après pas mal de kilomètres au hasard, Micheline décida d'un seul coup de descendre au prochain arrêt pour mettre fin à son long voyage improvisé. Elle voulait comme elle le dit à Bébert cette nuit-là enfin poser ses valises. Le seul hôtel dans ce coin paumé n'était pas fermé pour cause de réveillon à cette heure tardive mais plus aucune chambre n'était libre comme l'était Micheline.

   Bébert, qui avait complété son éducation grâce à un train de pèlerins de retour de Lourdes l'été précédent, saisit l'occasion pour montrer en tout bien tout honneur son sens de l'hospitalité à Micheline, laquelle accepta de suite l'invitation venant d'un inconnu certes mais en qui elle eut tout de suite confiance car il lui indiqua sans tarder l'heure du premier train du lendemain, il avait d'ailleurs déjà un ticket pour elle-et pourquoi pas avec elle? Et ce qui devait arriver, arriva, Micheline ne prit pas ce premier train, ni même le suivant d'ailleurs. Ah, on peut dire que cet amour démarra sur les chapeaux de roues pour deux êtres qui firent plus que se croiser sans s'arrêter, bien au contraire; on peut même ajouter que leur amour fut vécu à un train d'enfer.

   Seulement voilà, après une génération de vie et de voie commune, de train-train quotidien en somme, le poids des habitudes a fait son oeuvre. Micheline est partie comme elle était arrivée. Avant de prendre le train postal de 23h12, elle a quand même laissé une lettre à Bébert où était écrit: « Mon chéri, dans une gare, beaucoup de choses arrivent, surtout des trains; aujourd'hui, en ce 20ème anniversaire de notre Saint-Sylvestre, j'ai décidé de prendre un nouveau départ, un nouvel envol, alors, je file à l'aéroport .»

   Et Bébert tendit la lettre de Micheline au psychologue comme si celui-ci pouvait encore faire quelque chose. Ce dernier, pas aussi futé que notre Bison national, lâcha malencontreusement : «  C'était une erreur d'aiguillage, une de perdue, dix de retrouvées! » Alors là, le sang de Bébert ne fit qu'un tour, il allongea un direct à ce malotru. Comment, lui, Bébert, aussi fidèle qu'un horaire de chemin de fer, pourrait-il se consoler dans les bras de dix inconnues par dessus le marché, non, ce serait un marché de dupes, et il le lui rendrait au centuple à ce marchand de tickets perdants !

   Non, non, et encore non, Bébert ne pouvait y croire, lui qui avait toujours suivi à la lettre le chemin tracé par son destin, ne pouvait accepter que l'on puisse lui siffler aussi facilement dans quelle direction il devait aller maintenant. Alors, ne se contrôlant plus, Bébert alla dans la salle de contrôle et de régulation des trains, appuya sur tous les boutons que la colère lui avait donnés et mit un bazar complet dans la circulation justement à l'heure de pointe, aussi dans sa tête qui ne savait plus à quel train se vouer. 

  Maintenant, Bébert, toujours sous tension, voit des Michelines partout car il garde espoir en se disant:

 

            « Un train vaut mieux que deux tu l'auras ». 

Par ailleurs, la direction générale de la SNCF, ayant eu vent du désarroi de Bébert, a annoncé un train de mesures pour soutenir moralement tous ses agents déboussolés.
(à suivre...)
 

 

LES ( MÉS)AVENTURES DE BÉBERT LE CHEF DE GARE. ACTE II

 

    Voilà bientôt huit jours et bien sûr huit nuits que Bébert a disjoncté et tout le monde est déjà au courant grâce aux reporters qui ont rempli leurs colonnes avec son sang qui n'a fait qu'un tour au point de perturber la circulation dans sa petite gare provinciale pendant au moins deux bonnes plombes. Sa hiérarchie l'a d'ailleurs mis au repos forcé sans fixer de date de reprise car Bébert est encore tout retourné. Gare à celui qui voudra approcher Bébert qui, on s'en souvient, avait mis un super aller-retour à un psychologue qui n'avait pas su prendre de gants avec notre malheureux alors qu'on était en plein hiver.

La nuit, Bébert ne dort pas, il ne peut pas dormir lui qui, dans sa vie, n'a connu que le droit chemin, à part peut-être les courbes généreuses de Micheline. Soulignons au passage que par courtoisie, nous n'entrerons pas dans les méandres de leur vie privée surtout que Bébert et Micheline nous ont donné pour consigne de garder leurs secrets, il y a dans ce domaine des barrières à ne pas franchir. Pour lui, sa vie est devenue une voie sans issue. S'aimer, c'est regarder tous les deux dans la même direction, mais maintenant, il est tout seul, il n'arrête pas de regarder son film préféré «  Il était une voie dans l'ouest ».

Le jour, il parcourt la campagne comme un zombie, oh sa tête n'est pas belle à voir, on croirait bien qu'elle a rencontré un fer à repasser. Faut dire qu'à onze heures – Bébert aime bien manger de bonne heure – sa soupe s'est transformé en bouillon; visiblement, il n'est pas dans son assiette, faut dire qu'il n'a toujours pas avalé le départ de Micheline, alors, il a renvoyé toute la marchandise – remarquez, comme ça, il gardera la ligne - . Il est tellement énervé qu'il n'arrive pas à résoudre cette équation à une inconnue, surtout après vingt ans de voie commune. Non, décidément, Bébert n'en est toujours pas revenu que Micheline, sa Micheline, soit partie on ne sait où et il verse toutes les cinq minutes des larmes de crocodile.

Par défi, il continue à siffler même et surtout quand il traverse le village mais tous les villageois ne sont pas sympa comme les routiers. Au détour d'un chemin de traverse, un habitant malapris a même lancé à Bébert : « Tu peux toujours siffler, tu ne la reverra plus, ta Micheline »! Bien entendu, l'effronté s'est sauvé en quatrième vitesse craignant bien évidemment la foudre de Bébert qui en a ras la casquette de voir les gens se moquer de lui.

La tête de Bébert est un vrai champ de bataille, alors, il va s'allonger dans l'herbe et il rumine et rumine encore plus comme la vache à côté de lui qui regarde tranquillement passer les trains. Non, il n'est vraiment pas en forme, Bébert, lui le boute-en-train de toujours d'après son horoscope,il n'a décidément pas le coeur à mettre de l'ambiance; en temps normal, vu qu'il est du signe du taureau, il aurait déjà crié : « oh, la vache », non pas en parlant de Micheline, mais de sa ruminante de voisine, une beauté digne de participer à un concours mais les circonstances sont toutes autres.

Bébert ne comprend toujours pas ce qui lui arrive; lui qui a toujours eu du bol jusqu'à présent n'a pas pu boire sa soupe préférée ce midi. Non, il y a vraiment quelque chose qui clôche dans ce départ de Micheline, on n'était pas encore à Pâques de toute façon. Et tout à coup, une idée traverse la tête de Bébert à la vitesse de l'éclair, le transporte sans délai chez lui, il file jusqu'à la salle des pas perdus de sa petite gare chérie car il croit à nouveau à son étoile qui ne l'a jamais quitté et tous ceux qui le voient passer croient qu'il a entendu des voix.

                      Bébert répète à qui mieux mieux « Faux départ, faux départ »

La suite au prochain épisode...

 

 

 

                          LES (MÉS)AVENTURES DE BÉBERT, ACTE III

 

 

D'habitude, Bébert avance avec un train de sénateur, mais là, il y a urgence, il s'agit de Micheline, son BB, comme il l'appelle. Il sait qu'il ne doit plus pleurer, il ne tire plus sur la sonnette des larmes et il arrête de ruminer. Il a à nouveau l'oeil vif, la démarche souple, les idées claires et pour lui, Micheline a toujours eu une conduite exemplaire, elle se proposait, non : ne parlons pas au passé, elle se propose même pour donner un coup de main, comme par exemple se charger des sacs postaux, une tâche qu'il ne faut pas prendre à la légère.

Et justement, l'idée lumineuse qui redonne de l'espoir à Bébert concerne la Une du « Petit Dégourdi », journal régional que personne ne lit mais dont tout le monde commente le contenu, la Une donc accrochée à la porte des toilettes par son remplaçant, Marcel. Ce matin, les yeux de Bébert faisaient peine à voir à travers le brouillard à couper au couteau, couteau qui n'a même pas servi au petit déjeuner de Bébert, à le regarder , on pourrait se risquer à croire qu'il était complètement beurré.

Bébert avait regardé la feuille mais n'avait lu qu'entre les lignes, alors, bien sûr, il n'avait vu que du blanc tandis que son cerveau avait malgré tout enregistré les gros titres : «  Transport de fonds, du nouveau après l'affaire du train postal, JULOT les gros bras a vidé son sac.» Bébert avait un préssentiment, il avait déjà entendu parlé de ce fameux Julot, à la tête de son gang « MEC », magouilles et Compagnie pour les initiés, condamné à cinq ans pour détournement d'avion plus cinq ans en prime pour escroc qui rit; et oui, il s'était payé la tête du président du Tribunal qui faillit avoir une attaque. Seulement voilà, Julot les gros bras a été libéré il y a trois mois... pour bonne conduite.

Bébert fonce jusqu'au petit kiosque qu'il a mis en place à côté du guichet principal et que Micheline a décoré amoureusement pour les fêtes de fin d'année. Mais kiosque ça veut dire ? C'est la fin de tout ! Son stand a disparu, décidément, Marcel, son remplaçant, a besoin qu'on lui explique le sens des gravures, et lui Bébert doit absolument lire l'article pour en avoir le coeur net. Mais pour qui se prend-il, ce Marcel, il a beau être une armoire à glace, Bébert va lui montrer de quel bois il se chauffe, il sent déjà la température monter.

A la limite, Bébert se fiche pas mal du kiosque, mais Marcel aurait pu lui en parler, et là, il a dépassé les bornes. Pour l'instant, Bébert est à mille lieues de penser que l'attitude de son remplaçant n'était pas anodine, mais même s'il n'a pratiquement rien mangé depuis plusieurs jours, il est estomaqué et en même temps tellement électrifié qu'il va y avoir des étincelles,il y a de l'orage dans l'air, et il ne va pas y aller par quatre chemins pour demander des explications à Marcel qui justement est en train de lire le journal en question !

Bébert n'attend pas demain pour lui prendre le journal sans autre formalité, passe devant le grand panneau horaire, vérifie que le train postal est bien à 23h12, monte dans son logement, et, en fonction de ce qu'il va lire, il prendra les mesures qui s'imposent même s'il n'est pas géomètre. Il se dit que s'il a vu juste, il a déjà une petite idée de ce qu'il va décider. Et en passant devant la photo de Micheline avec un verre de jus de pomme à la main, il lui fait le serment d'éclaircir toute cette histoire même s'il fait déjà nuit.

      En somme, il fait à Micheline « Le serment du jus de pomme. »

                              La suite au prochain épisode...

 

                     LES (MÉS) AVENTURES DE BÉBERT ( ACTE IV )

   Cette nuit-là , il fait froid, il fait froid à ne pas mettre un Bébert dehors; il regarde par la fenêtre et voit de jolis flocons blancs voltiger allègrement et cependant se poser délicatement au sol. Il réalise alors qu'il s'est baladé toute la journée dans cette tenue de nain de jardin et il en rougit quelque peu de honte, lui qui broyait encore du noir avant d'avoir cette idée lumineuse; Bébert ne sait pas trop pourquoi mais quand le rouge et le noir s'associent, il pense aussitôt à ses sandales, peut-être bien à cause d'un livre qu'il a lu dans sa tendre jeunesse. A propos de lecture, le journal lui tend les bras avec Julot qui ne rate pas la Une en vidant son sac. Quand Bébert lit trop vite, c'est un vrai sac de noeuds dans sa tête, alors, il se dépêche de penser qu'il doit aller lentement. Ah, ça y est, voilà l'artiste en photo, notre gangster de service n'est pas passé par une belle porte cette fois-ci. Il s'est bêtement fait coincer dans un contrôle de routine, et pour l'argent, il fera ceinture! Le voilà maintenant derrière les barreaux où il pourra se refaire une santé. Ah oui, quand il a appris qu'il y avait un otage dont il ne savait que faire, il n'a pas arrêté, normal en cette période de fêtes mais pas la sienne, d'enguirlander son complice Jacquou la Menace qui n'a rien trouvé de mieux que de disparaître de la circulation en emmenant à la fois l'otage et les billets.

   Julot les gros bras avait pourtant bien ficelé le coup du siècle comme il disait, il avait attendu assez longtemps! Grâce à un complice introduit dans le milieu, il savait comment prendre la place des convoyeurs, il n'avait qu'à attendre que les portes s'ouvrent grâce à une de ces dames innocentes, et hop, à lui les mains pleines! Seulement voilà, Jacquou la Menace, d'origine tchèque mais aussi bête qu'un carnet, voyeur qu'on repère à quinze mille, n'avait pas pu s'empêcher de tomber en admiration devant une vraie Madone en lui disant dans un mauvais français : « Marci pour ce sac que tu m'as donnes ».

   Micheline sentit le danger autant que la mauvaise haleine imbibée d'alcool de Jacquou qui s'empressa de refermer la porte du wagon sécurisé en pensant certainement déjà pouvoir se faire la belle. Très affecté par ce chargement supplémentaire au programme, Julot les Gros Bras fit promettre à Jacquou de se débarasser sans autre forme de procès de ce témoin gênant dans la prochaine gare désaffectée sur le parcours. Il suffirait de sauter avec la fille, de lui dire au revoir avec des yeux aussi langoureux que les balles d'un pistolet mitrailleur et le tour serait joué. Julot les Gros Bras, après s'être jeté du train avec les sacs à l'endroit qu'il avait repéré n'aurait plus qu'à venir récupérer Jacquou qui aurait entre-temps repris son soufle après l'enterrement.

   Jacquou, - même s'il ne savait pas monter à cheval-vapeur - voulut faire cavalier seul et profita du fait que Julot les Gros Bras avait piqué un roupillon pour piquer les sacs en emmenant avec lui celle qu'il pensait inviter à dîner en tête à tête. Il sauta de joie au moment propice, Micheline poussa un cri pensant déjà qu'elle allait être la prochaine dinde farcie juste après Noël. Elle cria si fort à travers la nuit qu'elle réveilla Jésus, une espèce de marginal qui avait trouvé refuge dans une cabane abandonnée, laquelle servait d'abri côtier aux amateurs de poésie à deux nocturne.

   Heureusement, Julot les Gros Bras ne s'était pas réveillé, il était resté dans les bras de Morphée. Par contre, Jésus, lui, effrayé comme une chouette, sorti du lit comme un fleuve en crue, n'en crut pas ses oreilles, et , tel un écho, logique, il restitua le cri jusqu'à la gendarmerie du gros bourg le plus proche.

   Là, le gendarme de faction, qui avait raté sa première vocation de curé, n'avait pas réussi à compter les moutons cette nuit-là, reconnut en une seconde la voix d'une de ses ouailles.Il dit : «  Chaque fois que Jésus crie, c'est du sérieux ». Alors, bon pied, bon oeil, il déclencha l'alerte et c'est comme ça qu'une patrouille mit la main sur Julot les Gros Bras qui en eut les jambes coupées de se voir cueillir aussi facilement qu'une fleur de province sur une route de campagne, faut dire qu'il avait appuyé sur le champignon pour assurer des lendemains de fête difficiles à Jacquou, lequel l'avait roulé dans la farine; il se promettait de lui mettre un pain conséquent, mais il fut arrêté par la baguette de gendarmerie.

   Julot les Gros Bras qui venait de comprendre qu'il avait tout perdu à cause d'un nain capable de faire capoter n'importe quelle voiture, et qu'il n'avait non plus rien gagné à être connu et reconnu par tous les services de police et de gendarmerie de France et de Navarro, décida alors sans qu'on ait besoin de le cuisiner, même s'il n'avait pas spécialement faim, de se mettre à table et de cracher le morceau.

   Bébert, lui, continuait de dévorer l'article du journal, n'en perdait pas une miette tellement le récit était craquant; non, il n'avait pas soif de vengeance, mais tout en avalant son cassoulet réchauffé, il se dit :
 

        Demain, il passe à la casserole et je lui botte l'arrière-train !

                Ca va péter, c'est Bébert qui vous le promet.

                               La suite au prochain épisode...


  LES (MES)AVENTURES DE BEBERT, LE CHEF DE GARE. ACTE V. ( FIN )


   Ah, pour péter, ça a pété ! Non pas que Bébert ait pété un câble, bien au contraire. Ca a pété et cela n'a pas attendu le lendemain. Et quand ça s'est arrêté, Bébert a dit la phrase mémorable : c'est la fin des haricots et ça va bientôt être la fin des espoirs nourris par ceux qui l'ont pris pour une nouille. Bébert, bonne pâte, mais pas idiot, n'aime pas les malhonnêtes qui profitent de sa naïveté et de sa bonté, lui, il ne mange pas de ce pain-là ! Originaire d'un petit village près de Dijon, il lui faut une bonne raison pour que la moutarde lui monte au nez. Sa vie, réglée comme du papier à musique, est claire et limpide, sans fausse note. Le droit chemin est le plus court et le plus direct pour atteindre la vérité. C'est quatre à quatre que demain, il est prêt à descendre les escaliers, mais il ne faut pas faire de faux pas.

   Quoi qu'il en soit, dans un premier temps, il marchera sur des oeufs, car il ne faut pas affoler la volaille; une question titille quand même les neuronnes de Bébert, mais pourquoi donc son remplaçant n'a-t-il pas bronché quand il lui a pris le journal des mains hier ? Il n'est pourtant pas pris des bronches, bien au contraire, il est taillé comme Tarzan, alors, en quoi le gêne un malheureux petit chef de gare, il n'en ferait qu'une bouchée pour son quatre heures. Quatre heures, c'est à quelques minutes près, justement l'heure de la prise de service, mais au fait, Marcel, le fameux Marcel que Julot les Gros Bras n'a même pas mentionné dans le journal « Le Petit Dégourdi », Marcel donc connaît tous les horaires par coeur, d'après Bébert, c'est forcément lui l'indicateur, et il va le coiffer au poteau ! Ah mais, bon sang, mais c'est bien sûr, Marcel l'avait déjà remplacé pendant ses trois semaines de croisière au Brésil avec Micheline; sur place, ils étaient allés au cinéma, et dans le film, ils avaient vu la même scène à Rio, c'est quand même bizarre, il est en train de vivre le même scenario, cette histoire, son histoire, c'est du réchauffé comme le café qu'il est en train de se servir. Précisément, servir ou se servir, là est la question! Marcel se croit encore à l'abri mais Bébert sait à qui il a affaire et l'affaire est simple comme bonjour. Demain matin, ce sera bonjour les dégâts pour celui qui se croit le plus mâlin de la bande, mais pour Bébert, c'est déjà du billard. Julot les Gros Bras s'est fait doubler par Jacquou la Menace, et Jacquou la Menace s'est fait doubler par Marcel qui avait discrètement récupéré les sacs pendant que Jacquou, un homme ne connaissant ni l'art ni la manière, s'occupait à sa façon de Micheline, pas ravie du tout d'avoir un ivrogne comme ravisseur. Elle qui était toujours ravie au lit avec Bébert n'avait pas voulu connaître le huitième ciel, le septième lui donnant pleinement satisfaction; elle avait même peur de connaître une ivresse démesurée vu qu'elle était sujette aux vertiges. Alors, son petit mot d'adieu n'était pas, ne pouvait pas être le sien. Elle ne pouvait pas être partie de son plein gré à l'aéroport et Bébert se dit qu'il fallait mettre un coup d'arrêt aux porcs qui veulent se faire du lard au frais de la princesse.

   Ah, faut pas toucher à sa princesse ! Micheline, c'est SA princesse, l'être qu'il respecte le plus au monde. Il se souvient avoir joué le Prince Charmant un beau soir d'été où il avait réveillé sa Princesse, au bois dormant, derrière sa petite gare.

   Mais que se passe-t-il ? C'est la fin du film, la fin du rêve, et à la place, Bébert ne perd pas au change, c'est une créature de rêve qui lui sourit comme une fée. Il accroche son wagon à sa Micheline et les voilà partis pour un voyage au bout de la nuit, voyage de première classe s'il vous plaît, cerise sur le gâteau, ils sont maintenant dans le compartiment spécialement aménagé à leur intention dans le Paris-Brest, délicate attention de tous ses copains de l'école des Chemins de fer. Ah, il en a de la chance, le Bébert, Micheline, c'est de la formule 1, une formule des cieux, avec elle, il ne rate jamais la correspondance, elle est toujours à l'heure, d'ailleurs, il y a vingt ans, le jour de ses dix-huit ans, jour où ses parents l'avaient expédiée comme un vulgaire colis avec un aller simple, elle s'était dit :  «  bon, puisque c'est comme ça, maintenant, c'est moi qui décide si c'est l'heure ou pas pour tout ce qui me concerne, ma vie m'appartient, et si je veux, je la donne à quelqu'un ».

  Pour Bébert, elle éprouve de la reconnaissance, lui qui lui envoie sans arrêt des signaux forts, son coeur est un vrai livre ouvert pour elle, elle y lit les plus nobles sentiments, alors, pas question de faire machine arrière, avec lui, tous les feux sont au vert, bon d'accord, les trains, c'est sa passion, il s'y consacre à fond de train, même quand il va tout droit – Bébert est quelqu'un de direct, il va droit au but même s'il ne joue pas au foot – ses moteurs tournent à plein régime et sans logiciel de simulation. Avec Bébert, pas de salle d'attente, la signalisation est simplifiée, le temps n'est pas perdu en formalités, il les appelle les produits du tiroir, pour lui parler, pas besoin de transiter par une troisième voie, et pour vous répondre, il reste cantonné à ses petites phrases claires, aussi claires que les yeux de Micheline où il peut à son tour lire son avenir, leur avenir à tous les deux. Il l'appelle sa passagère éternelle car il sait qu'elle ne le quittera jamais, même en rêve, et si un jour ou plutôt une nuit, ce rêve devait lui faire prendre un autre chemin ou même un autre train, celui-ci ne serait que temporaire, car pour Micheline, tous les chemins mènent à Bébert, et si elle ne vient pas à Bébert, c'est Bébert qui vient à elle. Ca marche, ça roule pour Bébert et Micheline, et ce sera comme ça jusqu'au terminus. D'ici là, ils ont encore tant de choses à se dire, surtout des mots bleus, ceux que l'on dit dans une langue universelle, la langue de l'amour, et au train où vont les choses, leur merveilleuse histoire va durer, durer toujours.
 
 

CLAUDE SEGARD SANGATTE BLERIOT

 

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